HISTOIRE

Avant de lire l’article ci-dessous, nous reproduisons ici l’article publié dans le n°115 de la revue « Paris Historique« , avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la revue…. Un article récent, documenté et éclairant.  Voici le lien : PH115-Crypte-Beriou

Histoire de la crypte de Notre-Dame-des-Champs

La crypte, structure souterraine ménagée au-dessous de l’église (le mot signifie : « caché »), est un élément constitutif des églises chrétiennes, très anciennement attesté. Cependant, celle de  Notre-Dame-des-Champs fut sans doute, au point de départ, un espace souterrain naturel, dans la zone des carrières située au sud de Paris, et susceptible de servir de refuge aux premiers chrétiens au temps des persécutions.

Grégoire de Tours rapporte que Denis aurait été envoyé par le Pape vers 250 avec six autres évêques pour évangéliser la Gaule. Selon la tradition, il exerça sa mission à Lutèce dans le quartier Saint-Jacques, où abondaient les carrières,  à proximité de l’actuelle rue Saint-Jacques, dont l’orientation Nord-Sud correspond à celle du cardo de la ville romaine. Denis y rassembla les premiers chrétiens, et y célébra des offices. C’est là qu’il aurait été appréhendé et qu’aurait commencé son martyre. La mémoire en fut préservée par le nom de « Saint-Denis-sous-terre »,  donné à ce qui devint la crypte de l’église médiévale. On n’a plus aucune trace en revanche de l’oratoire établi dans le quartier au Ve siècle, à l’initiative de sainte Geneviève, à qui l’on doit aussi la fondation, au nord de Paris, de la première basilique de Saint-Denis. Peu à peu, à Paris et aux alentours, tout un ensemble de lieux de culte a fixé la mémoire de la mission évangélisatrice et du martyre du saint : sa crosse d’évêque était vénérée à Saint-Etienne-des-Grés, on disait qu’il avait prêché dans la crypte de Saint-Benoît-le-Bétourné comme dans celle de Sainte-Marie-des-Champs, et qu’il avait été emprisonné à Saint-Denis de la Chartre, dans l’Île de la Cité, avant d’être décapité au Mont-des-martyrs ou « Montmartre ».

L’église à l’époque médiévale

Établie loin des espaces habités pendant tout le haut Moyen Âge, l’église de Notre-Dame-des-Champs doit sans doute à l’entretien de cette mémoire de saint Denis de figurer parmi les bénéficiaires des legs énumérés dans le testament d’une femme, Ermentrude, vers 700. C’était alors une basilique dans les champs, sur la route d’Orléans, et sans doute une église à vocation funéraire, puisqu’elle avait été érigée dans un lieu qui a servi de nécropole pendant des siècles (des sépultures de l’époque du haut-Empire y sont attestées).

Son histoire sort davantage de l’ombre à la fin du XIe siècle, sous le règne du Capétien Henri 1er, quand l’évêque de Paris et le chapitre de la cathédrale s’accordent pour donner l’église et ses appartenances à l’abbaye de Marmoutiers (fondée à la fin du IVe siècle par saint Martin, près de Tours). Les moines bénédictins en font donc un prieuré, mais ils sont amenés à desservir aussi l’église pour la population des alentours qui commence à se faire plus dense au XIIe siècle.  Notre-Dame-des-Champs est ainsi devenue peu à peu une église à double fonction, dévolue à la fois à la prière des moines et à la vie paroissiale qui s’organise au XIIe siècle. Le prieur-curé a de plus des liens privilégiés avec la cathédrale, où il est tenu d’assister aux offices lors des grandes fêtes.

Saint-Denis-sous-terre et le culte de saint Denis

Le culte rendu à saint Denis ajouta encore à la réputation de l’église, cette fois pour tous les Parisiens. Le chapitre cathédral, en effet, organisait régulièrement des processions où tous les habitants de la ville étaient conviés à participer. Elles partaient de la cathédrale et  faisaient halte dans certaines églises dites « stationales » : lors des trois jours des Rogations, qui précèdent le jeudi de l’Ascension, Notre-Dame-des-Champs était l’une de ces stations, le mardi, et on y faisait aussi une prédication. De plus, dans l’octave de la fête de saint Denis, en octobre, les Parisiens étaient invités à se rendre dans tous les sanctuaires qui entretenaient sa mémoire, dont « Saint-Denis-sous-terre », la crypte de Notre-Dame-des-Champs.

Les rois de leur côté, et plus largement leur parenté (par exemple Blanche, fille de saint  Louis) manifestaient leur dévotion au protecteur de la monarchie, devenu l’un des patrons du royaume, en faisant bénéficier le sanctuaire de leur générosité. À cela s’ajoute l’usage, attesté au plus tard au XVe siècle, de déposer pendant une nuit entière à Notre-Dame des Champs la dépouille des rois qui étaient morts en dehors de la capitale, comme cela se produisit pour Charles VII. Les membres des corps constitués, en particulier du Parlement, étaient invités à venir s’y recueillir, avant que le cortège funèbre ne se mette en route sur un long parcours jalonné de stations, jusqu’à la basilique de Saint-Denis où se faisait l’inhumation. Ainsi en fut-il encore de Charles VIII, Anne de Bretagne, François Ier et ses deux fils.

Le lieu de pèlerinage à un saint « moderne » : le bienheureux Réginald, frère Prêcheur

Au tout début du XIIIe siècle, les frères dominicains s’installèrent à proximité, dans un hospice qui leur fut donné à la lisière de la muraille de Philippe-Auguste. En février 1220, Réginald d’Orléans, compagnon de Saint Dominique envoyé par lui à Paris pour soutenir la communauté des  premiers frères et l’agrandir par de nouvelles conversions, opérées dans les rangs des maîtres et étudiants de l’Université, mourut brutalement. Dévot de la Vierge qui l’avait miraculeusement guéri d’une terrible fièvre quelques années plus tôt à Rome, Réginald fut inhumé, peut-être selon sa volonté, dans le cimetière des moines bénédictins, tout près de leur église dédiée à Notre-Dame, où l’on vénérait une image très ancienne de Vierge à l’enfant – la croyance s’était même répandue qu’elle aurait été peinte de la main de saint Luc et confiée à saint Denis (le premier évêque de Paris était en ces temps confondu avec Denys l’aréopagite, le citoyen  d’Athènes converti par saint Paul, et avec  l’auteur d’une œuvre néoplatonicienne de grande envergure, produite en réalité entre la fin du Ve et le VIe siècle, et qui compte parmi les sources d’inspiration majeures de la pensée chrétienne médiévale).

Immédiatement, un culte populaire naquit spontanément sur cette tombe de Réginald, vénéré pendant des siècles comme bienheureux : les Parisiens venaient en nombre lui demander la guérison de leurs enfants atteints de fièvres, en lui offrant des cierges. Le culte, avéré jusqu’au XVIIe siècle, permit plus tard la reconnaissance officielle de cette qualité de bienheureux, proclamée par le pape Pie IX en 1875. Jusqu’à aujourd’hui la mémoire de Réginald a perduré dans la crypte, où une plaque fixée au sol rappelle l’histoire de son inhumation en ces lieux, et où un  autel sous son vocable a été érigé. A partir du XVIIe siècle cependant, le culte des reliques de Réginald était devenu moins populaire, et s’était concentré dans la communauté des  sœurs Carmélites qui avaient alors pris possession des lieux.

L’église des Carmélites 

Au début du XVIIe siècle en effet, avec le soutien du  roi Henri IV, l’installation des sœurs Carmélites envoyées d’Espagne par sainte Thérèse d’Avila modifia sensiblement la destination de l’église de Notre-Dame-des-Champs, dont  la vocation paroissiale avait été restreinte déjà au XVIe siècle, du fait du rayonnement de l’église toute proche de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Le tombeau de Réginald se trouvait désormais intégré à une zone de  stricte clôture, ce qui en éloigna les Parisiens. Le Carmel en revanche entretenait des liens étroits avec la cour. C’est dans ce Carmel que la duchesse de La Vallière fut religieuse durant 35 ans. La reine Marie de Médicis y fit de fréquents séjours et contribua à le doter de peintures exécutées à ses frais par Philippe de Champaigne et son atelier, entre autres pour célébrer la mémoire de Réginald à laquelle les sœurs  se montrèrent durablement attachées.

La révolution mit fin à une période faste de la vie religieuse à Paris. Le carmel de la rue Saint-Jacques avait une grande réputation. Les religieuses expulsées perdirent tous leurs biens et quand elles revinrent, ne trouvèrent que des ruines, tandis que l’espace de la crypte, bouleversé par les destructions, n’était même plus identifiable. Cependant, elles réussirent à la localiser en retrouvant des morceaux de faïence qu’une religieuse avait utilisés en guise de mosaïque pour en orner les murs au XVIIe siècle.  Les biens avaient été dispersés, vendus, éparpillés quelquefois dans les musées ou dans les églises… Toutefois, Louis XVIII leur rendit en 1817 les objets d’art qui se trouvaient autrefois dans l’ancienne chapelle du Carmel et qui avaient pu être protégés.

En 1856, elles construisirent une chapelle dont il reste une rosace, puis entreprirent de remettre en état la crypte avec le peu de moyens dont elles disposaient.

Expulsées une deuxième fois, elles durent quitter les lieux au début du XXe siècle.  Le Carmel fut vendu comme bien national, et la rue Pierre Nicole prolongée, ce qui explique la situation actuelle de la crypte, en partie sous cette rue.

Josette Kupperschmitt

Présidente de l’ASCNDC

Paru aux éditions L’Harmattan, le 25/10/2019 :

« De la crypte de Saint-Denis dite Notre-Dame des Champs au carmel du faubourg Saint-Jacques »

Une tranche d’histoire, un lieu de mémoire

Ce travail n’est ni une étude historique, ni une étude théologique, c’est un parcours à travers une histoire qui raconte la vie de la crypte de Notre-Dame des Champs en lien avec son environnement. Dès le VIe siècle, l’église Notre-Dame des Champs apparaît dans le Paris mérovingien. Sur les plans de Paris dressés aux temps modernes, elle est constamment figurée. Les traces écrites de l’attachement que lui portent les rois pendant des siècles, comme les documents d’archives et les textes anciens, éclairent aussi l’histoire du sanctuaire dans la longue durée du deuxième millénaire.

La richesse mémorielle de la crypte légitime l’espérance d’une renaissance allant de pair avec la reconnaissance de sa valeur patrimoniale. Elle fait pleinement partie de l’histoire de Paris, et nombreux sont ceux qui, en France et dans les pays voisins s’en souviennent encore.

De la crypte de Saint-Denis au carmel du faubourg Saint-Jacques

Dessin de couverture réalisé par Jean Brulard

La crypte Notre-Dame des Champs, de Saint-Denis à nos jours : 

Conférence de Josette Kupperschmitt – Christiane Vavon présentée à la Montagne Sainte Geneviève et ses abords

Jeudi 14 novembre 2019

La Montagne Sainte Geneviève et ses abords : Société Historique du 5 e Arrondissement de Paris Bulletin Année 2019  Ne 322.

Mémoire des quartiers : la crypte de la rue Pierre Nicole:

La crypte de Notre-Dame des Champs, première chapelle de Paris, témoignage unique des premiers chrétiens de la capitale.

Le Journal de votre arrondissement Paris 5e  n° 14. Février 2017

Une mystérieuse crypte au quartier latin:

Revue du Quartier latin  20 Janvier 2020 : voir sur le site du Quartier Latin quartierlatin.paris

Article d’Alain Garabiol du 28 janvier 2020 : « Un livre récent relate l’histoire peu connue de la crypte Notre-Dame-des-Champs, le plus ancien sanctuaire parisien ».

Josette kupperschmitt par ailleurs présidente de l’Association pour la sauvegarde de la crypte de Notre-Dame des Champs, fournit dans les annexes des documents passionnants, comme différents plans de Paris à travers les siècles, où apparaît toujours Notre-Dame des Champs… et on fait aussi dans cet ouvrage bien d’autres découvertes…

Pour en savoir plus : liens vers le site de l’A.I.B.L. :